« Si les femmes touchées par l’endométriose comprenaient qu’avant d’enlever le gluten, choisir de respirer avant de manger pourrait les aider, ce serait moins frustrant, plus facile, et probablement plus efficace »
Quand je lis ou j’entends les mots « nutrition », « diététique », « coaching en alimentation », mon moi de 16 ans angoissé ressurgit. En 1996, dans les magazines, à la télévision, partout, Cindy Crawford affichait son corps musclé, ses cheveux parfaits, et ses conseils minceur. Elle affirmait ne jamais se restreindre (genre…) mais manger cinq fois par jour des petites portions équilibrées de nourriture. Et des amandes. Dans le placard de la cuisine, chez mes parents, y’avait pas d’amandes. Mais du Nutella, de la sauce bolognaise toute prête, des pâtes, des Pépito, et des petits pois en boîte. Comment pouvais-je suivre les conseils de Cindy avec ça, moi ? Jamais je n’aurai ne serait-ce qu’un dixième de son corps, ma vie était foutue (oui j’étais déjà drama queen). Heureusement les années ont passé, et avec elles j’ai gagné en estime de moi, jeté la presse féminine à la poubelle, et appris à aimer mon corps avec ses imperfections. J’ai surtout compris que les conseils de base en nutrition n’étaient pas là pour mincir et avoir un « bikini body » inaccessible, mais pour être en bonne santé et avoir de l’énergie pour affronter la vie. Pareil avec le sport : quand j’en faisais pour être gaulée, je détestais cela. Quand j’ai compris que faire de la boxe et du yoga me permettait de courir plus vite pour rattraper le bus, tomber moins souvent malade, soulever des cartons de déménagement sans me niquer le dos, et nager longtemps dans l’océan, ça a fait « mind blowing » dans ma tête. Du coup, aujourd’hui, je ne suis toujours pas et ne serai jamais Cindy, mais j’ai des leggings et y’a des amandes dans mon placard.
Quand on souffre d’endométriose, le lien entre nutrition et santé est beaucoup plus problématique et dépasse largement les questions d’apparence. Puisqu’après le diagnostic, on entend parler d’alimentation anti-inflammatoire, d’aliments conseillés et déconseillés, de menus adaptés, de do et de don’t, d’impact sur les troubles intestinaux, sur l’endobelly, et compagnie. Pas facile de ne pas angoisser. Heureusement il y a des diététiciens(-nes), comme Vanessa Gouyot, qui apportent un regard aussi expert que déculpabilisant sur le sujet alimentation et endométriose. Jeune quadra multi-diplômée, elle vit et exerce, à la fois en libéral et à l’hôpital, en Île de France. Depuis la Clinique du Landy dans la ville de Saint-Ouen-sur-Seine, elle répond avec joie, pédagogie, et convictions, à nos questions.
Il faut aimer manger ! (rires) J’ai un compte Instagram avec des recettes anti-inflammatoires, et y’a un hashtag que j’adore et que j’utilise, c’est #jesuisdieteticienneetjaimemanger. Il est long mais je l’aime beaucoup. C’est évident qu’il ne faut pas avoir de névroses en termes d’alimentation, mais clairement il faut aimer manger, et aimer transmettre qu’on peut aimer manger. Il y a trop de gens qui se prennent la tête sur la nourriture. J’aime à croire que notre métier, c’est être facilitateur, facilitatrice. Aider les gens à comprendre ce qu’il faut qu’ils mangent pour être en bonne santé, en fonction de l’environnement personnel et social de chacun. Transmettre l’idée qu’on peut manger sans se prendre la tête.
Souvent ce qu’on lit sur l’alimentation anti-inflammatoire, anti-endo, ça va être une alimentation riche en Oméga 3, riche en fibres et en polyphénols, et limitée en termes de toxines. C’est-à-dire moins de perturbateurs endocriniens, moins de pesticides, moins de métaux lourds, moins de malbouffe. Ça, c’est les grandes lignes.
Et bien pas forcément. La base de l’alimentation anti-inflammatoire, c’est ce que je viens de mentionner, les molécules types, polyphénols, Omega 3. Et consommer moins de toxines. Se sont rajoutés à ça des aliments sans gluten et sans lactose. Cela peut marcher pour certaines personnes, mais pas pour toutes. Je trouve cela malheureux de dire que l’alimentation anti-inflammatoire est nécessairement limitée en gluten et en lactose, parce que ce n’est pas valable pour tout le monde. Cela me tient à cœur de dire que l’alimentation anti-inflammatoire est à la fois facile et complexe. On croit que c’est « A ou B », « gentil ou méchant ». Mais je peux vous fournir la plus belle alimentation du monde, avec du lycopène, du resvératrol, des polyphénols et pas de toxine, si vous ne la digérez pas, et bien vous ne pourrez pas l’absorber. La base d’une alimentation anti-inflammatoire, c’est une alimentation qui est adaptée à la personne qu’on a en face de nous, adaptée à ce que son corps est capable de faire avec.
Dans l’alimentation anti-inflammatoire, il y a d’abord un travail sur le comportement alimentaire. Est-ce que je suis assise à table ? Est-ce que je vais mastiquer ? Est-ce que j’ai pris le temps ? Est-ce que je ne suis pas stressée avant de commencer à manger ? Et changer ce comportement, c’est déjà avoir un effet anti-inflammatoire. Parce que bien digérer, c’est avoir des aliments qui vont arriver sous une forme plus microscopique au niveau de l’intestin, et qui vont être plus absorbables. Cela donne moins de travail au microbiote intestinal, cela vient moins agresser l’intestin, cette zone frontière super importante. Donc moi, dans ma stratégie de travail d’alimentation anti-inflammatoire, je travaille d’abord sur ce comportement, ensuite sur la chronobiologie, c’est-à-dire qu’est-ce que je mange à quel moment. De quoi mon corps a besoin et à quel moment. Là, on va optimiser sa capacité de digestion. Par exemple on sait que prendre une entrecôte le soir c’est une cata, pour une femme qui a du mal à digérer, alors que si vous la mangez à midi, cela passera mieux. C’est l’étape deux. Et ensuite on peut aller sur des évictions, s’il y a besoin, c’est-à-dire qu’on enlève le produit, pour voir si ça aide encore plus. On peut aussi aller vers l’utilisation de compléments alimentaires, soit pour optimiser, soit pour réparer. C’est après le travail sur le comportement et la chronobiologie qu’on vient instiller des informations sur ce qu’est une alimentation anti-inflammatoire. Quels sont les légumes qui vont être plus faciles pour moi à tolérer, qui vont me donner les vertus qu’ils contiennent. Et par fil rouge, je vais peut-être choisir quelques légumes bios – pas tous car ils n’ont pas tous besoin d’être bios- peut être limiter ma consommation de capsules de cafés car il y a du mercure à chaque fois que j’en prends etc. On va instiller au fur et à mesure ces conseils du quotidien. Autre exemple, je dis souvent : « il faut arrêter de faire chauffer la cloche du micro-ondes », parce que c’est du plastique, des perturbateurs endocriniens, qui intègrent nos repas, aussi bons soient-ils.
Donc la chronobiologie vient déjà soulager des problématiques intestinales réelles. Après, s’il n’y a pas d’impact, il faut pousser plus loin, évidemment. Mais si déjà les femmes touchées par l’endométriose comprenaient qu’avant d’enlever le gluten, choisir de respirer avant de manger ça pourrait aider, ce serait moins frustrant, plus facile sur le long terme, et probablement plus efficace.
Tout à fait, je ne le nie pas. Il y a beaucoup de femmes qui arrivent dans mon cabinet en disant : « je ne prends plus de gluten depuis tant de semaines, de mois, ou d’années et je vais mieux ». Mais selon moi, faire une éviction avant de travailler le comportement et la chronobiologie, c’est probablement retirer un gros dossier pour le corps, parce que le lactose, le gluten et le blanc d’œuf, ce sont des éléments complexes à digérer, et agressives pour notre organisme si elles sont mal digérées. Par conséquent, si vous êtes en crise, que vous souffriez de douleurs pelviennes, intestinales ou gastriques, enlever ce dossier, ça fait du bien. Mais pour moi ce n’est pas éducatif sur le plan corporel. Parce qu’on enlève ce souci, mais on résout la conséquence, pas la cause. Alors qu’on peut travailler sur la cause de manière efficace, et éviter que cela revienne, et s’épargner ces évictions, compliquées socialement.
Bien sûr. C’est ce que je vous ai dit au début de notre entretien : pour moi une diététicienne c’est quelqu’un qui aide les autres à bien manger. Ce n’est pas quelqu’un qui aide à enlever des aliments. Il faut bien entendu vérifier qu’il n’y a pas d’allergie avérée au gluten. Il peut y avoir une maladie cœliaque sous-jacente, une maladie inflammatoire auto-immune. Si on sent qu’il y a des troubles qui ne disparaissent pas, on va solliciter un médecin généraliste ou un gastro-entérologue pour dire : “docteur, j’ai un sujet intestinal, est-ce qu’on peut vérifier qu’il y a ou non une maladie ?”. Ce n’est pas parce qu’on est diététicien et qu’on pense avoir de l’impact qu’il faut passer à côté d’une pathologie d’une patiente. Mais quand on est assuré qu’il n’y a pas d’allergie alimentaire avérée, on peut travailler l’intolérance, car elle est réversible. Elle est conditionnelle à l’état des intestins. Et à son extrême porosité et fragilité. C’est parce qu’il est poreux qu’il laisse passer les micronutriments, et tant mieux ! Mais s’il est trop poreux, il est alors agressé, cette agression génère de l’inflammation sur le front digestif. Je rappelle souvent aux patientes qu’un intestin étalé par terre c’est 500m2 quand même… Donc une agression sur 500m2, c’est lourd.
Oui, c’est un terrain de tennis. Il fait 7m quand on le dépiaute, mais il est plein de villosités. C’est comme une anémone de mer. Elle a besoin de 3 cm pour s’accrocher, si on l’étale, elle recouvre tout le rocher. Notre intestin, c’est la même chose. Pour optimiser notre digestion et notre absorption, on a ces villosités. Donc c’est génial. Et en même temps c’est violent, car si tout cet intestin est globalement fragile, avec un microbiote qui n’est plus capable de faire le douanier devant la frontière, et bien on a une agression permanente, une inflammation sur le front digestif qui va s’additionner à celle de l’endométriose, hormono-dépendante. Quand on doit répondre aux deux fronts en même temps, c'est compliqué. Surtout qu’à côté on peut attraper le Covid, une gastro, un rhume, d’autres signes d’agressions.
J’explique aux patientes qu’on n’a qu’une seule caserne de pompiers. Ces pompiers ne peuvent pas être au four et au moulin, ils ne peuvent pas gérer trop inflammations de toute part. Or l’inflammation digestive est souvent prioritaire. L’inflammation de l’endo est secondaire pour l’organisme. La pilule peut limiter les pics hormonaux. En réduisant l’inflammation hormonale, cela libère des effectifs, qui vont s’atteler à l’inflammation intestinale, mais si celle-ci est trop importante, on ne la résout pas. Il faut donc chouchouter son intestin. Quand on le restaure, on restaure sa perméabilité et l’équilibre du microbiote, il y a alors suffisamment de défenses pour limiter l’agression d’une intolérance alimentaire.
Pendant le Covid, certaines de mes patientes me disaient : « J’en ai marre, faut que je cuisine midi et soir ! », et donc humblement je leur ai proposé des recettes, en leur disant : « Moi je ne mange pas tous les jours anti-inflammatoire, on a le droit de se faire plaisir, mais voilà quelques recettes ». Après, pour toutes celles qui ont besoin d’une éviction, longue ou pas, car je m’occupe aussi de patientes qui ont et de l’endométriose, et des maladies cœliaques, j’ai quelques recettes de petits-dejs avec ou sans gluten. Pour que chacune y trouve son compte. Il faut composer avec le souhait de la patiente. Par exemple, j'ai des patientes qui ne souhaitent plus manger de viande ou de poisson. Il faut respecter cela, composer avec les valeurs, mais aussi parfois la confession. Je ne vais pas forcer une patiente juive à manger du porc comme je ne vais pas forcer une patiente végétarienne à manger de la viande. Si on ne sent pas capable d’accompagner quelqu’un dans cette transition-là, on a le droit en tant que diététicienne de ne pas être fortiche dans tous les domaines, et de dire : là je vais vous référer à un ou une de mes collègues qui sait mieux que moi travailler par exemple sur le végétarisme ou le véganisme. En ce moment j’ai deux patientes vegan, ça se passe très bien. Mais si je sens que j’ai des difficultés, je n’aurai aucun ego à dire : « Allez voir cette super experte du véganisme maintenant que vous avez travaillé sur l’endo avec moi ». L’humilité, c’est important, pour les diététiciens. Au-delà du « j’aime manger » !
Il faut aller voir, ne serait-ce que quelques séances, un ou une professionnel de la diététique et de la nutrition. Sur internet, il y a beaucoup de conseils « healthy », mais il faut savoir qu’il n’y a pas une alimentation globale adaptée à l’endométriose. Quand on a une maladie inflammatoire, et qu’on se sent inflammée, ça vaut vraiment la peine d’aller chercher des choses par l’intermédiaire d’un professionnel. Ce que je dis toujours à mes patientes, c’est : on est une équipe. Vous vous connaissez mieux que moi, j’ai besoin de vous. Mais j’ai des connaissances qui vont pouvoir s’adapter à ce que vous savez de vous, qui vont faire que vous allez mieux comprendre ce qu’il se passe.
C’est bien aussi d’aller voir des professionnels référencés par des réseaux, comme Resendo, Endobreizh, Endosud, etc., parce qu’au moins vous êtes sûre qu’ils sont formés sur la pathologie. Après, tous les réseaux n’ont pas la vision holistique de la prise en charge nutritionnelle incluse dans la prise en charge de l’endo.
Il y a certains réseaux qui considèrent que l’opération est la meilleure des choses pour soulager les symptômes de l’endométriose et que par conséquent la diététique n’a rien à faire là-dedans.
Il y a eu une véritable évolution, notamment grâce aux associations de patientes. Après, c’est un vrai travail à faire auprès des médecins, parce qu’ils ne voient pas le lien. La patiente non plus, de fait. C’est souvent l’objet de mon premier rendez-vous avec une patiente : quel est le lien entre alimentation et endo. Je vais vous expliquer ce qui vient inflammer, pourquoi est-ce qu’il y a sur inflammation, pourquoi vous avez mal, pourquoi ça reste alors que vous avez un traitement ou avez eu une chirurgie, etc. L’idée, c’est que, que ce soit auprès des patientes ou auprès des professionnels, il faut prendre son bâton de pèlerin et continuer. Sur tous les fronts, il faut œuvrer à la communication autour de l’endométriose. Il faut former les diététiciens, pour qu’ils sachent qu’ils ont un impact. Ces quatre-cinq dernières années, c’est sûrement lié au Covid, de plus en plus de gens se sont dit : il faut peut-être faire attention à ce qu’on mange. Il y a eu un back to basic alimentaire général. Dans le cas de l’endométriose, ce que j’aime constater, c’est qu’il y a de plus en plus de gynécos, de chirurgiens, de professionnels de santé qui normalement n’en avaient rien à secouer de l’alimentation, qui aujourd’hui discutent de cela. Dans les congrès endométriose, il y a maintenant systématiquement un sujet nutritionnel. Certains gastro-entérologues nous réfèrent aussi des patientes après leurs investigations sur les pathologies intestinales. Désormais, tout le monde doit se former pour mieux comprendre les liens intestins - endométriose.
Malheureusement ils ne le sont pas tous. Certains d'entre eux, formés, sont au fait de ces informations, mais grand nombre ne sont pas spécialisés car c'est de la gynécologie... Pourtant, 90% des femmes touchées par l’endométriose sont aussi touchées par un intestin irritable. C’est le paradoxe de notre médecine, à force de se spécialiser on est extrêmement bons dans l’organe, mais on en oublie les organes à côté. Un gastro-entérologue, vous lui parlez utérus, vous lui parlez chinois. Même si anatomiquement il sait comment ça fonctionne, ce n’est pas sa spécialité, son domaine. Heureusement, dans les congrès, on parle de plus en plus de micronutrition, de microbiote, d’alimentation et d’inflammation et également, je l’espère, à terme, d’endométriose.
Oui, je dirais qu’une alimentation anti-inflammatoire, ce n’est pas une alimentation sans inflammation. C’est une alimentation qui limite l’inflammation. Qui soulage, qui soutient. Sinon, on arrête de manger, hein, comme ça on ne s'inflamme pas, et on meurt. On sera toujours inflammés par quelque chose, on n’enlèvera pas les bactéries, on chopera toujours un rhume et une gastro en hiver. L’idée c’est de comprendre comment je peux aider mon corps à réagir, et à réduire l’inflammation.
Voilà !
Merci Vanessa.
Propos recueillis par Camille Emmanuelle