Emilie Stern psychologue endométriose
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Rencontre avec Emilie Stern, psychologue, sur les TCC (thérapies comportementales et cognitives) et la fatigue chronique.

Publié le 
28/2/2023
Endométriose : “La fatigue chronique n’est pas forcément liée au sommeil.”

 

Porte-t-on le nom de notre vocation ou est-ce celle-ci qui imprime notre identité ? Vous avez quatre heures… Quand on me parle d’Emilie Stern, jeune psychologue spécialisée dans les thérapies comportementales et cognitives, je me dis tout de suite : « évidemment qu’elle est psychologue, elle s’appelle Emilie Stern, voyons ! » J’écris depuis quelques années des romans et des scénarios de série, et donc je dois régulièrement « nommer » mes personnages, leur trouver un prénom et un nom. Un exemple récent : j’ai ainsi nommé Caroline Tranin un personnage de femme née en 1982, originaire de Savoie et bossant dans les assurances. Si je me suis donnée comme pseudonyme d’auteure Camille Emmanuelle, ce n’est pas un hasard, c’est en référence au roman Emmanuelle d’Emmanuelle Arsan publié en 1959 (et qui deviendra un film en 1974). Si j’avais voulu créer un « pornonyme », un pseudo d’actrice porno, j’aurais pris mon deuxième prénom, suivi du nom de mon tout premier animal de compagnie (essayez, ça marche). Mais je me disperse…

Pour revenir à cette interview pour Lyv, selon moi Emilie Stern “sonne” psy. C’est une sorte de biais cognitif, une illusion d’optique de mon cerveau. Et là, meilleure transition du monde : c’est justement - entre autres - du cognitif dont nous allons discuter avec Emilie Stern. Dynamique, ultra souriante et passionnée, elle a 28 ans et exerce au GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences, premier hôpital parisien des maladies mentales et du système nerveux. Psychologue intégrative, elle utilise les thérapies comportementales et cognitives, une expertise très utile dans le vécu quotidien des patientes atteintes d’endométriose.

Emilie, tout d’abord j’aimerais en savoir un peu plus sur vous. Votre parcours, votre vie, votre œuvre…

Après le bac, j’ai fait mon Bachelor au Canada, à l’Université de Concordia, à Montréal.

 

Vous êtes canadienne ? 

Non je viens de Paris, mais je suis partie faire mes études là-bas à 18 ans. C’était une formation anglophone, qui m’intéressait particulièrement, car c’étaient des études en psychologie plus scientifiques qu’en France. En parallèle j’ai fait un master en thérapies brèves et en psychologie positive, à Londres. À mon retour en France, j’ai refait un master en psychologie sociale. Je me suis aussi formée en sexothérapie et thérapie de couple. Là j’ai fait un stage à l’hôpital avec l’AFTCC (Association Française des Thérapies Comportementales et Cognitives), au département de Psychiatrie et Addictologie de l’Hôpital Bichat-Claude Bernard à Paris. Et ensuite j’ai été embauchée pour être dans le service où je suis actuellement, spécialisé dans les troubles du sommeil et les troubles de l’humeur. C’est un nouveau service qui s’appelle le centre ChronoS. Entretemps, j’ai suivi plusieurs DU (diplômes universitaires) en diverses approches psychothérapeutiques, et là je suis en train de me former en EMDR. L’EMDR c’est génial, c’est ma nouvelle passion ! (rires) Enfin, depuis septembre, j’entreprends un doctorat à l’Université Paris Cité. Ma directrice de thèse est au laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé à Descartes et mon directeur de thèse est le directeur de mon service ici au GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences, sur le site de Bichat.

 

Sur quoi porte votre thèse ?

Les solutions numériques, comment faire de la psychothérapie avec les nouvelles technologies comme les applications, comment le faire de manière éthique, comment maintenir les alliances thérapeutiques.

 

Mais vous n’arrêtez pas de vous former !

Oui j’aime bien apprendre ! La psycho, ce n’est que cinq ans d’études obligatoires en France, mais on n’arrête jamais vraiment d’apprendre, on se forme sans arrêt.

 

Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quelques mots ce que sont les TCC, les thérapies comportementales et cognitives ?

C’est un des courants de la psychothérapie. En France il y a surtout des thérapies psychodynamiques, inspirées de la psychanalyse. Les TCC à la base sont issues des études des comportementalistes (Pavlov, Skinner, etc.). Puis dans les années 70 il y a eu les travaux du canadien Aaron Beck, qui s’est intéressé à l’approche cognitiviste : qu’est-ce qu’une pensée dysfonctionnelle ? Que sont les pensées automatiques ? Comment modifier nos représentations ? ... Quand on parle de "comportemental", on parle par exemple de reconditionnement : pour une personne qui a une phobie, on va faire une thérapie d’exposition pour qu’elle désapprenne la réaction de peur. L’approche cognitiviste va davantage accompagner par exemple une personne déprimée, qui a l’impression que personne ne l’aime. Si la personne ne t’a pas dit bonjour, est-ce parce que cette personne ne t’aime pas ? Ou bien peut-être ne t’a-t-elle pas entendue, ou ne t’a pas reconnue ? On va travailler sur ces pensées dysfonctionnelles. On fait de la restructuration cognitive. Enfin il y a une troisième vague, dans les TCC, qui est plus récente. Elle est issue des travaux de Steven Hayes. On attache plus d’importance à l’aspect émotionnel, et on va travailler avec des approches type méditation de pleine conscience, relaxation, etc.

 

Emilie Stern, psychologue / ©Lyv 2023 par Thomas Decamps

Les thérapies comportementales et cognitives ont au départ été conçues pour traiter l'anxiété et les phobies, en quoi sont-elles utiles pour les patientes souffrant d’endométriose ? 

Les TCC sont souvent très protocolisées, donc « faciles » à reproduire dans la recherche. De fait, on a beaucoup de preuves d’efficacité des TCC dans plein de domaines. Cela concerne notamment la gestion de la douleur, la fatigue chronique, la dépression, etc. Cela permet de prendre les choses dans leur ensemble, de comprendre un symptôme en termes de comportement inadapté, de pensées automatiques et dysfonctionnelles, et d’émotions associées, et de travailler ensuite sur ces trois ensembles-là.  Cela permet de sortir du cercle vicieux dans lequel on s’est installé.

 

Ce sont des thérapies actives, c’est-à-dire qu’elles exigent d’effectuer des exercices quotidiens. Ce n'est pas trop compliqué à mettre en place pour les patientes touchées par l’endométriose, sachant qu’elles ont déjà une charge mentale liée à la maladie qui est assez lourde ?

Le but de la thérapie, ce n’est pas de faire plus de mal que de bien ! On fait seulement ce qui est possible de faire, petit à petit, par palier. Parfois on peut prendre conscience d’un comportement sans forcément agir, et quand on se sent prête, on commence à agir. Cela peut demander des efforts au début mais très vite cela vaut le coup, on se sent plus en contrôle de ce qu’il se passe.

 

Vous auriez un exemple concret d’exercice de TCC que vous pouvez utiliser pour les femmes souffrant d’endométriose ?

En fait, tout dépend du vécu de la patiente. Mais je peux par exemple vous parler des colonnes de Beck. C’est un outil créé par le psychiatre cognitiviste Aaron Beck. Globalement c’est une colonne où on identifie une situation particulière. Ensuite, on regarde les pensées automatiques, les paroles spontanées que l'on se dit à soi-même, qui y sont associées. Et on trouve une alternative à ces pensées-là, pour voir si cela diminue l’émotion, si cela change le comportement, etc. C’est assez simple à mettre en place, et c’est très utile, notamment quand on souffre d’endométriose. Il y a beaucoup de pensées automatiques négatives, liées au fait qu’il y a eu un parcours de soin difficile, et qu’on n’a pas été écoutée. Cela va être des pensées automatiques comme : « Je n’irai jamais mieux », « Je vais toujours souffrir », « Personne ne va me croire », « Personne ne va m’aider ». Comme il y a eu peu d’aide, peu d’écoute, peu de soutien, beaucoup de ces pensées automatiques se sont créées, et c’est très important de revenir dessus. Ces croyances peuvent pérenniser la solitude et les troubles.

 

Vous êtes aussi spécialiste de la fatigue chronique. En quoi les TCC aident dans ce domaine ?

Il est important de comprendre que la fatigue chronique n’est pas forcément liée au sommeil. On a tendance à penser que le sommeil, c’est tout. Mais finalement on s’en fout un peu du sommeil ! (rires) Il y a plusieurs explications à la fatigue, ce peut être physique, ce peut être moral, ce peut être lié à ce qu’on fait dans la journée, à ce que l’on pense, ce peut être lié à la douleur. J’ai beaucoup de patientes qui souffrent de fatigue, et qui ont mis en place plein de petites choses dans leur journée, en lien avec les synchroniseurs d’éveil. Ainsi s’exposer à la lumière dès le matin, avoir un rythme de vie régulier, avoir des repas réguliers, avoir une activité physique et des interactions sociales dès le matin, tout cela favorise l’éveil, donc le corps comprend qu’il faut qu’il soit en éveil et donne plus d’énergie. Parallèlement tout le travail cognitif consiste à ne pas se réveiller en se disant : « Encore une journée pourrie », « Je vais encore être fatiguée », ne pas se coucher en se disant « Ça va être encore l’enfer ». Toutes ces pensées négatives peuvent rentrer dans ce qu’on appelle les prophéties auto-réalisatrices. On se conditionne à une mauvaise journée quand on pense qu’elle va être mauvaise. En thérapie cognitive, on essaie de revenir à la réalité objective, et pas à ce qui nous fait peur. Les émotions sont associées à ces pensées automatiques. Par exemple : « Encore une journée pourrie », je vais être énervée, je vais avoir de l’angoisse. Je travaille dans ces cas-là pas mal avec la méditation en pleine conscience. Cela permet de redescendre un peu, de ne pas se laisser embarquer dans un trop-plein émotionnel. Cela joue énormément sur la fatigue, sur le moral, etc.

 

Emilie Stern, psychologue / ©Lyv 2023 par Thomas Decamps

Les théories et les méthodes de TCC ont été principalement développées dans les pays anglo-saxons. Ont-elles encore aujourd’hui mauvaise presse en France ?

Il y a un switch qui est en train de se faire aujourd’hui. La preuve, je travaille dans un hôpital, en France !  Les TCC sont celles qui ressortent le plus dans la recherche, notamment parce que les autres thérapies sont difficiles à évaluer. Mais ce qui est en train de se passer, même si c’est lent, c’est qu’on commence à avoir de plus en plus une approche intégrative. Avant, en France, il n’y avait que le courant psychanalytique qui dominait. Après il y a eu la guerre entre différents courants, notamment dans les universités. Aujourd’hui, on souhaite que les futurs psychologues aient conscience des différents modèles, langages, outils et s’adaptent à leurs référentiels et à leurs patients.

 

Est-ce qu’au Canada, dans vos études de psychologie, on vous a parlé d’endométriose ?

Non, pas du tout. Et même en France, dans ma formation de sexothérapie, on n’en a pas du tout parlé.

 

Ce qui est dingue quand on connaît l’impact de la maladie sur la vie sexuelle et affective des patientes…

De façon générale, la particularité des femmes, on en parle très rarement. Dans la recherche par exemple, on va voir qui sont des hommes qui sont des femmes, mais on ne va pas regarder s’il y a un cycle menstruel, à quel stade elles sont dans leur cycle, etc. Ce sont des questions que l’on ne pose pas. Et si une maladie ne touche que les femmes, on ne s’y intéresse pas beaucoup.

 

Vous avez raison sur la recherche. Une étude psychologique sur la confiance en soi par exemple, si on n’intègre pas la question du cycle, de la période d’ovulation jusqu’à celle du SPM (syndrôme pré-menstruel), on passe à côté d’un vrai facteur !

C’est évident. De plus en plus de gens vont s’y intéresser, cela bouge un peu, mais on n’en est qu’au début.

 

Vous intervenez dans le programme Lyv « School of Endo », d’où vient votre engagement au sujet de l’endométriose ?

C’est justement cette idée de mettre les femmes au même niveau d’intérêt que le reste de l’humanité ! Je ne souffre pas d’endométriose. Mais cela touche énormément de femmes, c’est extrêmement douloureux pour beaucoup d’entre elles. On en parle très peu, on a très peu d’études sur le sujet. Quand on a créé le programme TCC-endométriose, on a un peu tout inventé, même si on s’est forcément basées sur des choses qui existent. On n’est qu’au début de quelque chose. C’est quand même fou. Parfois je me dis : comment est-ce possible que l’on commence que maintenant ? Que moi, personnellement, je ne m’y intéresse que maintenant ?

 

Vous avez au moins l’excuse d’avoir 28 ans ! 

(Rires) Peut-être ! En tout cas c’est pour ces raisons, féministes, que j’ai envie d’aller plus loin dans ce domaine.

 

Merci Émilie.

 

Propos recueillis par Camille Emmanuelle.

Source

Emilie Stern psychologue endométriose

Camille Emmanuelle

Rédactrice en chef du mag' Lyv
Auteur et journaliste, spécialisée sur les questions de sexualités, de genre, et de féminisme.

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