Dans le vaste monde de la recherche, les avancées se font pas à pas, ou plutôt article par article. Chaque étude apporte sa pierre à l’édifice, nourrit, discute ou contredit les études existantes. Le nerf de la guerre pour émerger et espérer faire référence ? La rigueur méthodologique. C’est grâce à elle que les résultats sont comparables, ce qui permet, à terme, lorsqu’il y a consensus (on y croit !), de valider (ou non) les théories et finalement de diffuser le savoir au plus grand nombre.
Avant d’être publié, chaque article est relu par “des pairs”, c’est-à-dire par d’autres chercheurs. Dans le jargon, les membres de ce comité de relecture sont appelés les “reviewers”. Ils proposent des corrections, une fois, deux fois, pour ensuite accepter ou non que l’étude soit publiée.
Pour que les études scientifiques, sur l'endométriose ou autre, n’aient plus de secret pour vous, voici un petit manuel pour pouvoir les lire tout en gardant votre esprit critique et développer un œil aguerri face aux fausses informations !
Pour vous faire votre propre opinion ! Ne vous est-il jamais arrivé de lire une information et d’avoir un doute sur la manière de l’interpréter ? Dans ce cas, la solution la plus simple et la plus fiable sera toujours de remonter à la source initiale de l’information : l’article scientifique.
Que l’on parle d’un chiffre cité partout (1 femme sur 10 est atteinte d’endométriose), d’une découverte (un nouveau gêne impliqué dans les causes de l’endométriose) ou d’un fait (l’endométriose est associée à un plus grand risque de cancer), la manière de rendre ces résultats publics peut donner une mauvaise lecture des études.
Certes, la lecture n’est pas très fun car, oui, le jargon est spécifique et les parties sont généralement les mêmes (intro, méthodes, résultats…). Mais c’est aussi très pratique, car avec les bonnes clés de lecture, vous pouvez apprendre à lire de vous-mêmes ces résultats scientifiques, à déceler leurs limites et à développer un œil critique sur les annonces faites dans les médias ou sur les réseaux sociaux.
Vous vous apprêtez à vous plonger dans la lecture d’un article scientifique ? Voici vos meilleures armes :
Remettez toujours en contexte ce que vous lisez. La mauvaise interprétation est un piège, vous pouvez apprendre à l’éviter.
Que ce soit en épidémiologie, biologie, sociologie… la thématique étudiée selon les disciplines peut parfois s’avérer difficile à comprendre pour un novice.
Et oui, la majorité des études scientifiques sont en anglais pour que l’ensemble de la communauté internationale en profite.
Gardez en tête que vous n’êtes pas expert.e du sujet, vous ne pouvez pas tout savoir.
De la rigueur, de la rigueur, encore de la rigueur et une organisation caractéristique des articles scientifiques quasi toujours structurés de la même manière. Pour mieux comprendre, prenons l’exemple de cet article sur les stratégies d’autogestion de l’endométriose publié dans la revue BMC en 2019.
1 - Titre → Plutôt évident, me direz-vous.
2 - Auteurs et institutions de rattachement → Le premier auteur est généralement celui qui a mené les analyses statistiques et rédigé l’étude, le dernier auteur, celui qui a supervisé l’étude.
3 - Abstract → Le résumé de l’étude, synthétisant l’objectif, les méthodes, les conclusions et les limites.
4- Introduction → L’introduction doit contenir une brève explication des résultats préexistants dans la littérature ainsi qu’un état des lieux de ce qu’il manque et justifie donc que cette étude soit menée. Il faut pouvoir identifier clairement la question à laquelle l’étude cherche à répondre.
5 - Méthodes → Cette section décrit la population d’étude, le type d’étude (alias le design, notion sur laquelle nous reviendrons un peu plus loin) et les méthodes statistiques utilisées.
6 - Résultats → Le résultat peut ne pas apparaître sous la forme d’un oui ou non ferme mais plutôt révéler qu’il n’existe pas encore assez de données pour confirmer ou infirmer une hypothèse. Cela arrive lorsque les résultats ne sont pas significatifs.
7 - Discussion → Cette partie s’apparente à une conclusion dans laquelle les auteurs sont censés mettre en regard leurs résultats avec ce qui existe dans la littérature scientifique. L’objectif : montrer ce que l’étude apporte et de mettre en évidence ses limites. À la fin, les auteurs proposent une ouverture avec des questions de recherche pour les prochaines études.
8 - Conflit d’intérêt → Mention des liens des auteurs avec des entreprises ou organismes liés au sujet de recherche. Cette partie peut être vide.
9 - Remerciements → Remerciements envers les institutions, pairs et tous ceux qui ont aidé de près ou de loin à l’étude.
10 - Financements → Dans cette partie, sont listées tous les organismes et / ou entreprises qui ont participé au financement de l’étude pour une question de transparence.
11 - Contributions des auteurs → Précise le “qui a fait quoi” (collecte des données, analyses statistiques, interprétation des résultats, relecture…)
12 - Bibliographie → Liste des références citées dans l’article, ne sont présentées que les articles scientifiques publiés dans des revues à comité de lecture.
La revue → Existe-t-elle ? Est-elle bien dotée d’un comité de lecture ? Quelle est la date de création ? Vous pouvez aussi jeter un œil à son facteur d’impact (ou “impact factor”), plus il est élevé, plus la revue est citée par des pairs, plus elle est considérée comme sérieuse.
Dans notre exemple, la revue est le BMC Complementary and Alternative Medicine. Cette revue anglaise créée en 2010 a un impact factor de 3.658 en 2020, est la 6ème revue sur 28 dans le classement par impact factor de la catégorie “médecine intégrative et complémentaire”.
La mention “accepté” → Elle certifie que l’article a été relu par des pairs. À noter : les articles publiés sans cette mention (qui n’ont donc pas encore été relus) sont appelés des “pré-prints”.
Les expertises et affiliations des auteurs → Voir la bulle “2” plus haut
Dans notre exemple, les auteurs sont australiens, affiliés pour certains à l’institut de recherche en santé NICM et pour d’autres à l’école des sciences et de la santé à Sydney.
La présence d’un numéro DOI → C’est un identifiant unique, source originale de l’article.
Le délai entre la date de soumission et la date de publication → le temps de relecture par des pairs est long. Si le délai est très court, la revue peut être peu fiable.
Dans notre exemple, 6 mois se sont écoulés entre la soumission de l’article pour publication et l’acceptation du manuscrit par les pairs.
→ Identifier la problématique de l’étude, la ou les questions auxquelles elle cherche à répondre.
“The aim of this survey was to determine the prevalence of use, safety, and self-rated effectiveness of common forms of self-management in women with endometriosis.”
L’objectif de l’étude prise en exemple est de noter la prévalence (la fréquence dans la population), la sécurité des méthodes employées et l’efficacité des méthodes d’autogestion utilisées chez les femmes atteintes d’endométriose.
→ Il convient d’observer la taille de l’échantillon, c’est-à-dire le nombre de personnes sur lequel l’étude est basée.
Plus il est grand, plus les résultats seront fiables. Pensez aussi aux possibles biais, à l’origine des participants de l’étude, viennent-ils tous du même endroit ? Ont-ils le même âge ? L’échantillon provient-il d’un seul et même hôpital ? La diversité de l’échantillon est importante pour pouvoir généraliser les résultats. Même si vous n’êtes peut-être pas un as des statistiques, prêtez attention aux méthodes statistiques utilisées. Y a-t-il des indices de fiabilité des résultats (intervalles de confiance, P de tendance…) ? Ces indices servent à nuancer le résultat, ils signifient que ce dernier a de grandes chances de se trouver dans une fourchette. Plus la fourchette est petite, plus le résultat est fiable.
Dans l’exemple, les 484 femmes ayant répondu au questionnaire avaient entre 18 et 45 ans, vivaient en Australie et avaient un diagnostic d’endométriose confirmé par coelioscopie au cours des 5 dernières années. L’invitation à répondre à l’enquête s’est effectuée via les réseaux sociaux des deux comptes liés à l’endométriose les plus actifs en Australie. Les statistiques présentent une significativité forte, il y a seulement 5% de chances que les résultats soient faux (p < 0,05) - c’est un critère généralement utilisé en statistiques. Un score standardisé a été utilisé pour mesurer le niveau de douleur pelvienne - le Pelvic Pain Impact Questionnaire (PPIQ). L’ensemble de ces éléments vont dans le sens d’une étude où les résultats recherchés sont comparables à d’autres études internationales, basée sur des mesures validées par les pairs.
→ Répondent-ils à la question de départ ? Pour une meilleure interprétation des résultats, n’hésitez pas à regarder en détail les graphiques et tableaux associés à l’article.
Dans l’exemple, les résultats présentent bien les méthodes d’autogestion utilisées le plus souvent par les femmes atteintes d’endométriose ainsi que leurs fréquences (en pourcentage). Ils présentent aussi l’efficacité de chacune des méthodes avec des notes de 0 à 10. Pour présenter la sécurité des méthodes utilisées, l’article révèle les évènements indésirables que peuvent vivre les femmes appliquant ces méthodes d’autogestion. Exemple : l’utilisation de bouillotte peut entraîner des brûlures.
→ Les limites sont-elles bien décrites ? Vous semblent t-elles cohérentes ?
Dans notre exemple, à la fin de la discussion, deux paragraphes sont entièrement consacrés aux forces et limites de l’étude, exposant bien les biais que peut comporter l’étude et les méthodes utilisées pour réduire autant que possible ces biais.
→ Une fois ce petit bilan fait, regardez le fameux abstract : constitue-t-il un bon résumé de l’étude ?
→ Enfin, prenez le temps de lire l’avis d’experts sur l’étude : des critiques sont-elles émises ? Des conflits d’intérêt identifiés ?
Dans notre exemple, les reviews reports sont ici.
Il existe différents types de méthodologies d’études.
Etude longitudinale : suit les personnes dans le temps
Etude transversale : suit les personnes à un moment précis
Etude rétrospective : suit les personnes à un moment donné mais collecte aussi des informations sur leur passé
Méta-analyse : sorte de synthèse statistique, la méta-analyse calcule un résultat global à partir de l’ensemble des données brutes des études existantes et constitue un haut niveau de preuve.
Review : une revue systématique de la littérature condense les résultats de toutes les études réalisées sur un sujet afin d’observer les consensus ou les différences. C’est le plus haut niveau de preuve, l’étude la plus robuste.
Lettres à l’éditeur : texte écrit suite à une publication pour clarifier certains résultats pour le grand public ou les chercheurs.
D’autre part, les études peuvent être menées en population :
Dans le cas de notre exemple, l’étude est transversale en population spécifique.
Voilà, vous êtes prêt.e.s, vous avez maintenant toutes les clés pour lire et analyser un article scientifique, pour vous forger votre propre regard sur les études relatives à l’endométriose ou à tout autre sujet qui vous intéressent.
N’oubliez pas : vous ne pourrez jamais tout savoir, tout comprendre, la recherche est en perpétuelle évolution, les sujets sont très vastes, et les disciplines parfois complexes. Pour vous aider, vous pouvez compléter vos lectures par des articles qui vulgarisent les études scientifiques, en vérifiant toujours qu’ils citent bien leurs sources.
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