"La nutrition impacte tous les mécanismes physiologiques du corps et les mécanismes physiopathologiques de la maladie"
Je suis une endogirl et à ce jour, du haut de mes 27 ans, je n'ai pas adopté le régime anti-inflammatoire. Je ne suis tout simplement pas prête à sauter le pas, et à part l'arrêt du café, j'ai du mal à me séparer de certains petits (et gros) plaisirs (burgers, pizzas, la liste est longue…). J'ai donc envie, en ce début d'entretien, de mettre cartes sur table : si j'ai interviewé Fabien Piasco, spécialiste en alimentation anti-inflammatoire et auteur de "L'alimentation anti-endométriose" c'est par grande curiosité avant tout. Pas pour tout révolutionner du jour au lendemain.
Néanmoins, j'avoue avoir eu du mal à prendre du recul face à ses recommandations. Pire encore, j'ai culpabilisé de ne pas être capable aujourd'hui d'enclencher de tels changements. Alors, si vous aussi, êtes encore bien loin de ce régime, je vous invite à lire cet article à titre informatif avant tout, sans vous mettre la pression. Car comme le dit Fabien, l'alimentation anti-inflammatoire a beau avoir un impact majeur sur les symptômes de l'endométriose bien au-delà des problèmes de digestion, "il faut être prête psychologiquement à recourir à ce type d'alimentation'". Si au contraire, vous êtes déjà dans une démarche d'alimentation anti-inflammatoire, j'espère que cet article vous guidera sur votre chemin. Allez, en piste !
Il n'y a pas eu de déclic particulier, ça s'est fait très naturellement. Il faut savoir que la nutrition a un impact sur la santé dans la plupart des maladies, donc je suis habitué depuis des années à utiliser la nutrition dans le traitement de plusieurs maladies. Je travaille depuis 11 ans dans un centre thermal spécialisé en gynécologie à Challes-les-Eaux en Savoie. Là-bas, je m'étais déjà intéressé à la nutrition post-cancer du sein, et on avait aussi des curistes touchées par l'endométriose, alors j'ai commencé à me demander si je pouvais faire quelque chose en nutrition pour réduire les douleurs liées à l'endométriose.
Quand j'ai commencé à me mettre en quête d'études scientifiques publiées dans ce domaine-là, je n'avais aucune idée que certaines femmes utilisaient déjà la nutrition. D'étude en étude, j'ai préparé quelques conseils à donner aux curistes. J'ai fini par me lancer dans l'écriture d'un livre au sujet de l’endométriose, sans savoir que ça impliquerait autant de femmes. C'est comme ça que je suis entré dans l'endosphère : sans vraiment le chercher, le vouloir. Aujourd'hui, mon bouquin en est à sa sixième édition !
Le lien entre l'assiette et une pathologie gynécologique n'est pas étonnant, à partir du moment où la nutrition impacte tous les mécanismes physiologiques du corps et les mécanismes physiopathologiques de la maladie. L'enjeu n'est pas juste de diminuer les symptômes, mais aussi d'agir directement sur la maladie. L'endométriose est une maladie multifactorielle, car hormonodépendante, métabolique et inflammatoire. Scientifiquement, l'endométriose est entretenue par trois "engrais" qui sont l'inflammation, le stress oxydatif et les déséquilibres hormonaux. L'alimentation va donc agir à plusieurs niveaux :
En réduisant l'inflammation et le stress oxydatif, en régulant les hormones, en diminuant les perturbateurs endocriniens et en améliorant l'écosystème intestinal et la barrière intestinale, on peut directement agir sur les mécanismes qui influencent l'apparition et le développement de l'endométriose.
Pour finir, si dans la théorie, on peut imaginer que l'alimentation réduise ou stabilise la maladie, il n'y a pas vraiment d'étude suffisamment complète pour attester de cette alimentation : la plupart des études qui s'intéressent à l'alimentation sont des études d’observation (études de cohorte et cas-témoins). Il existe quelques études d’intervention (ex : sur le gluten, les FODMAPs), mais sur des éléments évalués un par un. Sur l’impact de l’alimentation globale, c’est-à-dire en associant divers principes (arrêt du gluten, des produits laitiers, du sucre, etc.) il s’agit plutôt des sondages. Pourtant, dans la pratique, j'ai pu approuver l'impact de cette alimentation sur l'endométriose maintes fois !
Exactement. On peut avoir besoin d'alimentation anti-inflammatoire sans endométriose digestive : ce n'est pas le fait qu'il y ait des lésions dans ou sur l'intestin qui fait le rapport entre l'intestin et l'endométriose. On peut ne pas avoir de lésions sur l'intestin, et avoir des résultats avec l'alimentation anti-inflammatoire sur l'endométriose ovarienne par exemple. L'intestin est une source d'inflammation chez quasiment toutes les femmes qui ont de l'endométriose : dans la majorité des cas, on retrouve le syndrome de l'intestin irritable, des dysbioses (dérèglement de la flore intestinale), une porosité intestinale… Il ne faut pas raisonner en termes de "où est-ce que se trouve mon endométriose ?" Même si toutes les femmes n'ont pas les mêmes symptômes, elles sont toutes concernées par les mêmes mécanismes de la maladie. Peu importe les symptômes, l'emplacement des lésions, on retrouve les mêmes perturbations sur le plan cellulaire et moléculaire. Les molécules inflammatoires diffusent dans tout le corps.
Bien sûr. Le Syndrome Prémenstruel est un ensemble de symptômes physiques, psychologiques, intestinaux, etc. qui est dû à plusieurs choses. D'abord, durant la phase lutéale (la phase post-ovulation), il y a une variation des hormones (très haute hausse de la progestérone et une petite hausse de l'œstradiol) et après, ça redescend. Lorsque les règles arrivent, les hormones chutent et l'inflammation augmente et plus les hormones chutent, plus certains symptômes sont à même d'arriver. La chute hormonale, notamment de l'œstradiol, induit un déficit de sérotonine au niveau du cerveau et c'est ce qui crée la tristesse, l'anxiété, la petite déprime et les envies de sucre.
De plus, les troubles intestinaux sont aussi dus aux hormones : il y a des récepteurs hormonaux aux œstrogènes sur l'intestin. La chute hormonale induit donc de multiples perturbations au niveau de l'intestin (dont une modification de la perméabilité intestinale, laquelle favorise aussi l'inflammation). Le cumul de la perturbation intestinale, de la hausse de l'inflammation et de la chute hormonale peut être amélioré par l'alimentation et par la micronutrition, dans laquelle on s'intéresse aux micro-nutriments (vitamines, oligo-éléments, acides gras, acides aminés, phytonutriments, etc.), que l'on peut aussi prendre sous forme de compléments alimentaires. On peut donc nuancer le syndrome prémenstruel par l'alimentation et les compléments alimentaires, ne serait-ce qu'en réduisant l'inflammation et en modulant la sérotonine.
D'abord, il faut être prête psychologiquement à adopter ce type d'alimentation. Il ne faut pas avoir de troubles du comportement alimentaire pour le mettre en place, être stable au niveau psychologique. Ensuite, il faut avoir envie de le faire. Si on se lance, des écarts peuvent être tolérés à condition qu'ils ne soient pas trop fréquents et resserrés. Si on se dit "un jour je mange du gluten, le lendemain des produits laitiers et le lendemain de l'alcool", il n'y aura aucun impact positif et plutôt un effet de cumul. Mais il faut savoir que grâce à cette alimentation, on pourra diminuer très nettement l'inflammation et l'écosystème intestinal, et quand on fait un écart, les conséquences sont gérables, notamment avec l'aide la micro-nutrition. Ce n'est pas une interdiction à vie, ça peut se gérer, mais ça demande quand même une certaine hygiène de vie. Et l'entre-deux risque de ne pas avoir beaucoup d'effets.
Il faut commencer par étapes, ce que je propose est déjà de hiérarchiser les éléments pour ne pas faire les choses dans le désordre. Par exemple, il faut éviter de faire un régime FODMAP (soit sans glucides "fermentescibles") en première intention. Le mieux est de commencer par améliorer la qualité de son alimentation en évitant ou réduisant la viande rouge (sauf le canard, moins inflammatoire que le bœuf), les charcuteries grasses (on peut les remplacer par du jambon sans nitrite), enlever les sucreries (l'excès de sucre étant trop inflammatoire), avoir une alimentation plus naturelle, biologique, faite maison, non-transformée et non-industrielle, un peu type méditerranéen, consommer plus d'oméga 3 et 9 (ne pas consommer d’oméga-3 c'est forcément avoir un terrain inflammatoire). Certaines ont déjà moins de douleurs de règles avec ça. Non seulement c'est une première étape, mais c'est largement prouvé pour améliorer la santé dans toutes les maladies métaboliques (comme les maladies cardio-vasculaires, les diabètes, les cancers, etc.).
Deuxième étape : du fait du terrain très inflammatoire et allergique de la plupart des femmes qui ont une endométriose, cela ne suffira probablement pas. Après avoir concocté une alimentation normale, mais saine, on peut se pencher sur les évictions alimentaires. Et si ces dernières ne suffisent pas, on pourra introduire de la micronutrition. De nombreuses patientes connaissent des intolérances alimentaires. Idéalement, il faudrait faire les tests de la maladie cœliaque avant de retirer le gluten (pour éviter d'avoir un faux négatif résultant d'une alimentation déjà sans gluten).. Cependant, même si le test est négatif, cela ne veut pas dire qu'on tolère le gluten : il abîme les intestins chez tout le monde, et encore plus chez ceux qui ont l'intestin irritable. C'est pour ça que je conseille de retirer le gluten dans tous les cas, pour améliorer la barrière intestinale et réduire les douleurs pelviennes (lors du SPM et des règles).
Encore une fois, il ne faut pas confondre les troubles digestifs et l'inflammation : il n'y a pas forcément de lien… ! Certaines substances peuvent agir sur l'inflammation sans qu'elles ne provoquent de trouble digestif. Beaucoup confondent les symptômes digestifs, et surtout les ballonnements, avec l'inflammation. Lorsqu'on n'a pas mal au ventre en mangeant certains aliments, cela ne signifie pas qu'ils ne maintiennent pas un niveau d'inflammation dans l'organisme… Et puis, c'est difficile de comprendre le lien entre les symptômes digestifs et ce qu'on a mangé : si on a l'intestin complètement déséquilibré, difficile de savoir ce qui va et ce qui ne va pas. En revanche, si on arrête les aliments qui créent des réactions immuno-inflammatoires, comme les protéines laitières chez beaucoup, et le gluten chez quasiment tout le monde, on peut retrouver un intestin en bonne santé et profiter d’une meilleure digestion.
Dans mon livre, j'écris en quelques sortes : "en l'absence de recommandations officielles, voilà ce que dit la science, pourquoi ne pas le mettre en place ?" Il y a un grand fossé entre une multitude d'études et ce qui se dit officiellement. C'est pour ça, qu'aujourd'hui, il y a un décalage entre la plupart des nutritionnistes et diététiciens et ce que j'affirme dans mon livre. Attention cependant à ne pas foncer la tête dans le guidon, à ne pas surinterpréter certaines choses, et à ne pas tout supprimer sans accompagnement. Il faut bien vérifier qu'en changeant d'alimentation, on a les bons apports de calcium et de protéines ! Pour ça, on peut utiliser certaines applications sur son smartphone (comme Foodvisor ou encore Myfitnesspal). Aussi, pour passer à ce type d'alimentation, je vous conseille de comprendre pourquoi vous le faites. Ne le faites pas juste parce que vous l'avez vu sur Facebook ! Essayez d'abord de comprendre les mécanismes de votre corps pour pouvoir avancer concrètement dans ce sens. Enfin, il ne faut pas oublier que le corps est un tout : ce qu'on mange influence absolument toutes les fonctions dans le corps : le cerveau, l'intestin, etc. et tous les systèmes sont en interaction les uns avec les autres.
Merci Fabien Piasco.