« Quand sa conjointe souffre d’endométriose, la chose la plus importante, c’est d’être à l’écoute »
Passionnée depuis quelques temps par la psychologie cognitive et les neurosciences, j’ai lu des ouvrages, et écouté quelques podcasts (je vous recommande vivement la géniale série Votre cerveau d’Albert Moukheiber, sur France Culture) sur le sujet. Pour autant, je n’ai jamais eu la réponse à cette question : pourquoi est-ce que je me rappelle parfaitement de plusieurs dialogues de La Cité de la Peur, de l’Histoire précise des sex-toys au 19ème siècle, et du générique de Tchoupi, mais que je suis incapable de retenir les règles basiques des sports collectifs ? J’ai visionné plusieurs fois des matchs de rugby et de football avec des amis. À chaque fois on m’a expliqué les règles. À chaque fois j’ai oublié. Genre Men in Black. Vous allez me dire : c’est parce que ça ne t’intéresse pas. Ce n’est pas faux. Mais je n’ai pas non plus un grand intérêt pour Tchoupi.
Je n’avoue pas cela à Thomas Ramos avant de le rencontrer. Prodige du rugby français, joueur international qui évolue au poste d’arrière au Stade Toulousain, il est, à 27 ans, une reusta dans son domaine, et même une reusta tout court. Je lis sur Wikipédia que lors de la saison 2020-2021, « il a inscrit la quasi-totalité des points de son équipe en marquant les quatre pénalités qu'il a tenté et un drop ». Et là, que fais-je ? Je me demande quel est le drop le plus cool que j’ai vu dans ma vie. Le drop, pour moi, c’est une figure de danse issue du voguing, et utilisée par les drag queens : elle consiste à tomber sur le dos, une jambe repliée en croix, de façon spectaculaire. Réponse immédiate de mon cerveau : « Laganja Estranja, épisode 1, saison 6 de Ru Paul Drag Race ». Merci, mais ça ne va pas m’aider pour l’interview de Thomas… Le drop doit être un truc différent, dans le rugby…
Heureusement, Thomas Ramos n’est pas là pour me parler ballon-ovale, mais endométriose. Car si en 2019 Thomas est devenu Champion de France pour la première fois de sa carrière, il est aussi cette année-là devenu parrain de l’association EndoFrance. Sa femme, Sophie, souffrant d’endométriose, il met sa notoriété au service d’une cause : faire connaître la maladie. Rencontre avec un jeune homme souriant, ouvert, et déterminé, dont le cœur est aussi généreux que ses quadriceps.
Je suis un jeune garçon de 27 ans, sportif de haut niveau. Je fais du rugby : je joue au Stade Toulousain, et je suis également international français. Mon histoire est simple : je suis le mari d’une femme qui est atteinte d’endométriose et un jour l’idée m’a pris de contacter Yasmine Candau et l’association pour voir ce que je pouvais faire, à ma petite échelle, pour les aider. L’idée était aussi d’avoir une parole d’homme, de conjoint, sur cette maladie qui touche les femmes. De fil en aiguille, on a décidé que je serais parrain de l’association. Je le suis aujourd’hui avec beaucoup de fierté.
Déjà, elle, elle a mis du temps à la comprendre. Donc forcément quand la personne concernée met du temps à la comprendre, les personnes autour mettent encore plus de temps. Elle est dans le domaine paramédical, donc grâce à cela, et en effectuant des recherches, elle a pu se diagnostiquer. Quand le diagnostic a été confirmé par le corps médical, cela a été un soulagement pour tout le monde. On a pu savoir vraiment ce qu’elle avait. Mais ça a aussi été dur de comprendre pourquoi il lui arrivait cela. J’étais forcément peinée pour elle et je me sentais parfois impuissant.
La chose la plus importante, dès le départ, c’est d’être à l’écoute. Parce que malheureusement, quand une femme est en pleine crise d’endométriose, il n’y a pas grand-chose à faire pour la soulager. A part être à l'écoute, être présent lors des moments douloureux, qu’ils soient physiques ou psychologiques. Au début je pense que je n’étais pas vraiment dans l’écoute, je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Si on n’est pas présent dans ces moments-là, la personne peut vite se renfermer, et au final ne plus rien exprimer.
Oui, quand on a appris ce qu’était la maladie et comment vivre avec, il y a des moments où je me suis senti impuissant. Je la voyais se tordre en deux de douleur et ce sont des moments difficiles. On ne sait pas ce qu’est cette douleur, mais on la devine quand on voit notre femme souffrir. Ce sont des moments délicats.
Oui enfin je viens du rugby, mais je suis quand même quelqu’un, dans la vie, qui aime échanger et partager ! Donc avec Sophie, on est dans l’échange, j’aime bien qu’elle exprime son ressenti. Après c’est sûr que dans mon quotidien sportif, je parle peu de ce sujet.
Si, j’en ai parlé, notamment quand je suis devenu parrain. On avait fait une journée, avec EndoFrance, au sein du club. J’avais pu expliquer à mes coéquipiers ce qu’était la maladie. Tout le monde s’était concerné, cela m’avait fait très plaisir. Quand on dit qu’une femme sur dix en souffre, dans un vestiaire on est 35 à 40 personnes. Peut-être que dans ce club, ou dans d’autres clubs, d’autres femmes de joueurs en souffrent, je ne pense pas être le seul.
Tout à fait. Comme je le disais tout à l’heure, lorsque les femmes sont en souffrance, il est important qu’elles soient accompagnées. Si les pères, les frères, les conjoints, peuvent être là dans ces moments-là, c’est important. Il n’y a rien de pire, dans ces moments-là, d’entendre des paroles comme : « t’es une chochotte », ou « allez c’est le stress », ou « c’est juste des règles douloureuses, ça va ». Il faut que les hommes soient plus au courant de la maladie, pour mieux être à l’écoute, pour être si besoin une épaule sur laquelle se reposer.
Déjà la faire connaître encore plus, et faire évoluer les mentalités sur cette maladie. Encore récemment on a, avec Sophie, reçu par message le témoignage d’une personne qui pensait avoir de l’endométriose. Son gastro-entérologue lui avait ri au nez en disant : « ah ben ça c’est la maladie à la mode ! ». Ce sont des choses qui marquent, qui choquent. Ce n’est pas possible, de la part de professionnels de santé. Il faut que les choses changent. Il y a eu un gros travail d’effectué par les associations auprès de l’État pour faire évoluer les mentalités, mais on n’est qu’au début du processus. Cette maladie doit être plus connue et reconnue.
C’est un sujet très important car c’est une maladie pour laquelle très peu de choses sont remboursées par la Sécurité Sociale. Il y a des traitements coûteux, et tout un tas de soins importants qui sont chers. Par exemple, avec les mutuelles vous avez droit à trois-quatre séances d’ostéopathie remboursées par an. Or pour soulager, pour apaiser la douleur au quotidien, l’ostéopathie c’est peut-être une ou deux séances par mois, qui sont nécessaires. Tout le monde vous dit : « il faut faire du sport », mais bon, mis à part courir dehors, faire du sport ça a aussi un coût. Aujourd’hui, quand on voit l’évolution du pouvoir d’achat, une personne qui vit seule et qui est atteinte d’endométriose, si on lui ajoute tous les frais pour se soigner, ça peut devenir très compliqué. Il y a le risque qu’elle fasse une croix sur ses soins, parce qu’elle n’en a pas les moyens. C’est extrêmement problématique.
Un autre point que je trouve important à soulever, c’est celui du monde du travail. Ma femme a dû poser parfois des arrêts de maladie, parce que pendant deux-trois jours, elle traversait des crises douloureuses. Et malheureusement c’était mal vu par ses employeurs. Quand je dis que les mentalités doivent évoluer, c’est aussi dans le monde du travail. Les patrons, les chefs d’entreprises, doivent s’adapter et changer leurs regards : quand on a une crise d’endométriose, ça arrive tout à coup, c’est brutal et on ne peut plus travailler.
Je ne sais pas, il faudrait interroger des sportives de haut niveau.
Oui, tout à fait. J’ai l’impression qu’on en parle peu, encore. Je n’ai aucun doute sur le fait que le sport fasse se sentir bien et améliore la qualité de vie, mais je reste tout de même persuadé que ce n’est pas le remède à tout.
Oui, et il y a une chance dont on ne parle pas assez, ce sont les opérations chirurgicales. Elles sont lourdes, et pour récupérer il faut au moins un mois. Si je prends le cas de Sophie, à chaque fois qu’elle a été opérée, il a fallu minimum un mois, un mois et demi, pour récupérer. Je suis habituée aux opérations, dans le milieu du rugby. Et croyez-moi, subir des opérations comme elles subissent, ça n’a rien à voir. Je préfère largement les blessures de matchs.
Totalement. Psychologiquement et physiquement, ce sont des opérations lourdes. Elles fatiguent. Alors certes parfois la rééducation d’une blessure dans le rugby peut être longue, mais une opération liée à l’endométriose, c’est autre chose. Les femmes en sortent épuisées.
Ma femme a repris ses études, donc je lui souhaite de les réussir. Moi j’espère réussir mes objectifs dans le rugby. Et ensuite dans notre vie, être heureux tout simplement. Que sa qualité de vie s’améliore, cela a aussi un impact sur notre qualité de vie, qu’elle soit de couple ou sociale. Et puis dans les années à venir, être parents serait quelque chose de bien, donc c’est ce que l’on va se souhaiter.
Je vous le souhaite aussi ! Merci Thomas.
Propos recueillis par Camille Emmanuelle