« On recueille sur le terrain le vécu des patientes, que l’on re-transmet aux médecins et aux pouvoirs publics. »
« Je crois que l'engagement, pas seulement féministe mais l'engagement à part entière, permet de durer », affirmait, il y a dix ans, l’avocate et militante Gisèle Halimi. En ces temps plus que troublés de recul historique des droits des femmes (le 24 juin 2022, la Cour suprême des États-Unis a mis fin au droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), garanti dans tout le pays depuis près de cinquante ans), nous sommes nombreuses à nous poser la question de l’engagement. Qu’est-ce que je peux faire ? Comment ne plus se sentir impuissante ? Relayer un post Instagram, c’est gentil mais ça ne suffit pas. Alors quoi ? Comment faire entendre sa voix, comment créer du collectif ? C’est avec toutes ces interrogations en tête que je rencontre, fin juin, Yasmine Candau, présidente d’EndoFrance. Même si on parle d’endométriose et non d’IVG, il est question de visibilité, de droits, de santé des femmes.
Yasmine, originaire de l’île de la Réunion, a 51 ans et vit en Normandie. Formée initialement au marketing et à la communication, elle a rencontré EndoFrance en 2006, quand elle en a eu besoin. L’association avait alors 5 ans d’existence. Elle s’est rapidement engagée, en tant que bénévole régionale, pour la Normandie. Et en 2012, quand la présidente en place a annoncé qu’elle souhaitait arrêter ses fonctions, elle a postulé et est devenue présidente. Retour sur son parcours militant et son regard, optimiste, sur l’avenir…
Oui. J’ai connu une errance médicale de 7 ans. J’ai commencé à souffrir vers mes 16 ans, et là tous les médecins que je rencontrais ne savaient pas, ne voyaient rien, ou ne comprenaient pas comment je pouvais souffrir, car il n’y avait rien de visible. C’est à 23 ans qu’en m’écoutant plus attentivement un médecin a dit : “c’est peut-être de l’endométriose”. Je ne vais pas vous raconter mon parcours en détail, mais je peux dire que je n’ai pas eu la bonne prise en charge à l’époque. C’était dans les années 90, l’imagerie n’était pas au point sur la maladie, le diagnostic se faisait encore par coelioscopie et les traitements n’étaient pas ce qu’ils sont devenus. Le traitement de première intention qu’on m’a donné à l’époque après quelques essais de pilule (même pas en continu, donc j’avais toujours mes règles) a été la ménopause artificielle, et des traitements hormonaux assez conséquents, qui ne sont d’ailleurs plus prescrits aujourd’hui à cause des effets secondaires. J’ai enchaîné les opérations, puisqu’à chaque fois que j’avais un kyste aux ovaires qui revenait, on l’opérait pour l’enlever. Mais on n’allait pas chercher plus loin, on n’allait pas regarder s’il y avait d’autres lésions ailleurs. Effectivement il y en avait, mais personne n’allait les chercher. Du coup, j’ai enchaîné un certain nombre d’opérations. En 2019, j’ai subi ma onzième chirurgie. Neuf pour l’endométriose, et deux pour réparer les dégâts. J’ai aussi des lésions sur le nerf pudendal, donc on a essayé de décomprimer le nerf, ce qui est extrêmement douloureux. Donc voilà, c’est un parcours assez compliqué, qui heureusement aujourd’hui ne serait plus d’actualité. Puisqu’on ne diagnostique plus par coelioscopie, on n’opère que quand c’est nécessaire, et le plus complètement possible.
Totalement. D’ailleurs à l’époque, quand je suis entrée à EndoFrance, le slogan c’était « Sortons la maladie de l’ombre », et c’était exactement ça. 2001 : création de l’association. 2006 : la maladie était encore dans l’ombre, on n’en parlait pas beaucoup, il y avait peu de médecins qui la connaissaient réellement et qui écoutaient les patientes. C’était un tout petit réseau et c’était complexe. L’objectif était de sortir la maladie de l’ombre, à la fois pour les patientes mais aussi pour les médecins.
Quelques années plus tard, on a transformé le slogan de l’association. C’est devenu : « Soutenir. Informer. Agir ». Notre mission de base, principale, c’est le soutien. Celui que l’on va apporter aux personnes atteintes d’endométriose et à leur entourage. L’information, c’est celle du public, la sensibilisation. Et l’action, on va agir avec les pouvoirs publics et les professionnels de santé pour améliorer le parcours de soin. Typiquement dans la mise en place des filières de soin, dans la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose, c’est ce qu’on a fait.
L’avantage, c’est qu’on recueille sur le terrain le vécu des patientes, et c’est ça qu’on peut re-transmettre aux médecins et aux pouvoirs publics. C’est une vraie force. Nous avons 2600 adhérents, et 120 bénévoles réparties dans toute la France. Elles reçoivent chaque année environ 50 000 mails, ce qui est énorme. On a vraiment la matière pour faire en sorte d’améliorer leur vécu, leurs expériences, en remontant ces infos aux médecins dans un premier temps puis aux pouvoirs publics. C’est une vraie richesse.
Ce que j’ai voulu dire par là, c’est qu’on fait très attention, en tout cas pour les bénévoles de l’association au fait que pour pouvoir accompagner les gens, il faut avoir du recul sur son propre cas. Il faut avoir tourné la page de ses colères. On a toutes traversé les mêmes phases de colère, ou de désespoir. En tant que présidente, je pense qu’on ne peut accompagner correctement une personne atteinte d’endométriose que lorsque soi-même on a fait la paix avec son histoire. L’équipe qui recrute les bénévoles a bien cela en tête. Dans ce sens-là, on n’utilise jamais le terme « endogirl », parce qu’on estime que c’est coller une étiquette à une personne. Chez EndoFrance, on veut que les personnes qui se tournent vers nous à un moment où elles sont en désespoir, où elles sont en souffrance, où elles sont en colère, puissent finir par trouver des solutions pour mieux vivre avec leur maladie. C’est ce que j’ai fait à titre personnel et il m’a fallu du temps. C’est vraiment l’objectif qu’on a pour nos 2600 adhérentes : vivre mieux et accepter cette maladie. Quand on est présidente ou bénévole, la maladie ne nous définit pas. On est autre chose que des « endogirls ». On est des femmes atteintes d’endométriose certes, mais on a des vies de famille, des vies professionnelles, personnelles, des passions, et c’est cela qui nous définit avant tout. La maladie, elle est là, mais comme c’est une maladie au long cours, il faut apprendre à vivre avec, et ne pas se laisser dépasser par elle.
Ce sont vraiment les bénévoles. Le pilier de l’association, ce sont ces bénévoles sur le terrain, celles qui sont en face à face avec les patientes, celles qui répondent aux mails. Cela prend beaucoup de temps, donc plus on est nombreuses, mieux c’est. Les personnes qui se tournent vers nous sont en attente d’événements, d’actions, de sensibilisation et pour cela il nous faut des bénévoles. En ce qui concerne les financements, tous les dons que l’on reçoit sont dédiés à des projets de recherche. Depuis 2016, EndoFrance a versé plus de 250 000 euros à des équipes médicales œuvrant pour la recherche clinique et fondamentale. C’est aussi très important.
Les réseaux sociaux nous ont amené une forte audience, et la possibilité de diffuser largement des messages de sensibilisation et de prévention. Juste à partir d’un réseau social, on peut toucher des personnes partout en France. Mais il y a un bémol. Il y a une multiplicité d’informations et il peut être difficile de trouver l’information la plus fiable et la plus juste possible. C’est un autre point important chez EndoFrance : nous souhaitons diffuser une information fiable et validée scientifiquement. On s’appuie sur des médecins pour les messages, les pages de notre site internet sont relus par des médecins, etc. On peut lire sur les réseaux sociaux tout et son contraire sur la maladie et sur la prise en charge. Il n’y a pas de vérité absolue aujourd’hui dans l’endométriose, c’est la seule certitude que l’on ait, mais pour autant il faut que les messages soient cadrés, canalisés, car sinon c’est la porte ouverte à tout et n’importe quoi.
Exactement. Nous orientons beaucoup vers des médecines complémentaires, car on a bien compris qu’à un moment de sa vie, à un moment de son parcours, de son histoire avec la maladie, on a besoin d’un ensemble de prises en charge. On aura besoin d’un traitement antidouleur, du traitement hormonal, de la chirurgie, des médecines complémentaires, que ce soit acupuncture, sport adapté, nutrition, etc. On aura besoin de kinés, d'ostéopathes, etc. Or c’est important de vérifier que ces personnes connaissent la maladie, soient fiables. On ne va pas, juste en écoutant Mozart ou en brûlant un cierge, résoudre le problème de l’endométriose. J’ai déjà entendu ça, c’est pour ça que je le dis !
Oui c’est Thomas Ramos, rugbyman du stade Toulousain, champion de France. Sa femme est atteinte d’endométriose et il nous a contacté, quand il avait 24 ans, en nous disant qu’au début il ne comprenait pas cette maladie. Il a même pensé qu’elle exagérait, et finalement il l’a accompagné à des rendez-vous et là il a compris. Il s’est dit : « ce n’est pas possible, il faut changer les choses ». Il s’est mis à lire plein de témoignages de jeunes femmes, et il a contacté EndoFrance en nous disant : « je veux faire quelque chose, pour ma compagne mais aussi pour les autres ». Il a proposé de devenir parrain et de porter la voix du conjoint. Il l’a fait notamment dans un milieu sportif très masculin et assez sexiste, au sein duquel on ne parle pas de ces choses-là. C’était important pour nous d’avoir cette visibilité dans un milieu qu’on n’aurait pas touché par ailleurs, et il amène cela avec beaucoup de sincérité et d’authenticité.
En effet, ce qui ressort souvent, c’est le sentiment d’impuissance du conjoint ou de la conjointe face à la souffrance, à la douleur. L’incompréhension, aussi. Car c’est très abstrait, quand on ne souffre pas soi-même. C’est une maladie invisible, les personnes qui en sont atteintes ont beaucoup souffert de cette invisibilité, et aussi du fait que c’est une maladie catégorisée comme bénigne. Alors bien sûr, au sens médical du terme, elle n’engendre pas le pronostic vital. Seulement, dans les formes sévères, elle a des conséquences qui sont très invalidantes au quotidien. C’est aussi là-dessus qu’il faut sensibiliser l’entourage, le milieu scolaire, le milieu professionnel : l’impact de l’endométriose sur le quotidien.
Dans un futur lointain, l’idéal serait qu’on n’ait plus besoin d’EndoFrance. Que tous les médecins soient formés à l’endométriose, que ce mot ne soit plus synonyme de méconnaissance, de moquerie, qu’on n’entende plus un médecin dire : « c’est une maladie à la mode ». Une femme sur dix, à minima, ça fait beaucoup de femmes. Donc, dans un avenir lointain, on ne met plus sept années en moyenne avant d’être diagnostiquée, la souffrance est entendue aussi bien au travail qu’à l’école, les filières sont organisées, les prises en charge sont adaptées et la recherche avance et on trouve des traitements avec moins d’effets secondaires.
En tout cas, pour revenir au présent, je pense qu’en ce moment on est vraiment à un tournant. Enfin ! Et pour nous c’est déjà une victoire. Il y a une prise de conscience au plus haut niveau, les choses vont forcément changer. J’ai vraiment envie d’être optimiste, sur la prise en charge notamment. Il y a aussi un point positif, c’est que les femmes se tournent plus rapidement vers nous, pour nous dire : « je sens que mon médecin n’est pas trop au fait de la maladie, est-ce que vous pouvez me réorienter ?». La maladie est sortie de l’ombre. Ce n’est pas fini, il y a encore beaucoup de choses à faire, mais le premier pas est franchi.
Merci Yasmine Candau.
Propos recueillis par Camille Emmanuelle.