Anna Roy Sage femme
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Rencontre avec la sage-femme Anna Roy

Publié le 
14/6/2022
« Ce n’est pas parce que je détiens un savoir que je me place au-dessus de toi »

J’ai 8 ans. Ma mère, sage-femme, s’est installée en libéral. Après l’école, je vais régulièrement l’attendre dans la salle d’attente de son cabinet. Alors qu’elle reçoit ses patientes, je fais mes devoirs, je feuillette des magazines, je m’ennuie. Heureusement, il y a une télé branchée à un magnétoscope. Et des VHS de films d'accouchements, diffusés j’imagine lors des cours de préparation à la naissance. Je les connais par cœur et les kiffe. Tous les ingrédients des bons films sont là. Du suspense : épisio ou pas épisio? Forceps ou ventouse ? De l’action : on croit que c’est fini, mais non ! Il faut sortir le placenta. Oh mon Dieu ! Le bébé se présente en siège.  Et bien sûr il y a de l’émotion : le premier cri du bébé, les larmes de joie des parents, le peau à peau, les premiers regards échangés.

J’ai 14 ans. Au collège, ma prof de bio projette en classe une vidéo éducative sur l’accouchement. Lorsque le bébé sort, et qu’il n’est pas tout propre comme dans les films hollywoodiens, les élèves font un « beuuuurk » généralisé. Je ne comprends pas. Ben quoi ? Ce n’est pas dégueu, c’est un mélange de sang, de liquide amniotique et de vernex ! Je ne dis rien, pressentant que tout le monde n’a pas la chance d’avoir eu une mère sage-femme, et que je risque -encore- de passer pour une nerd.

J’ai 35 ans. Je suis enceinte. Pendant le cours de préparation à l’accouchement, la sage-femme propose aux « futurs papas » de sortir quelques instants de la salle, car elle va parler de choses « intimes ». Les mecs sortent docilement. Et là, elle nous parle de bouchons muqueux, de pertes des eaux, d’émission de selles pendant l’accouchement. Je lève la main : pourquoi cacher cette réalité aux conjoints ? On n’est pas des princesses, en revanche on est des mammifères. Nos partenaires doivent comprendre la réalité, non enjolivée, de l’expérience, pour mieux nous soutenir dans celle-ci. Et puis… les contractions vont nous faire hurler de douleur mais on devrait protéger ces messieurs du mot « mucus » ? Sérieusement ? C’est un accouchement, ou c’est un dîner avec Nadine de Rothschild ? La femme doit encore et toujours avoir un corps « glamour », un vagin bien propre, sans fluides et sans odeurs, même le jour où elle est une putain de warrior qui va donner la VIE ? Je m’emballe. Et je casse alors un peu l’ambiance choupinoue/ventres ronds/coussins fleuris/bougies qui sentent bons de ce cours de préparation. En sortant, j’appelle une amie sage-femme. Avec elle, je me sens libre : je peux autant parler d’étirement du périnée que des joies et des peines de la maternité.

J’ai 41 ans. Lorsque je rencontre la sage-femme Anna Roy, j’ai immédiatement ce même sentiment de liberté. On peut parler de tout, sans tabou. Sage-femme par vocation, elle a récemment quitté l'hôpital qui la rendait, selon ses propres mots, « maltraitante ». Elle continue d'exercer en libéral, en cabinet et à domicile. A 35 ans, cette parisienne mère de deux enfants, n’est pas « juste » sage-femme. Elle se définit comme « vulgarisatrice » Chroniqueuse pour La Maison des Maternelles sur France 2, podcasteuse (Sage meuf sur Europe 1), autrice de nombreux livres, elle est aussi très active sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram. Passionnée, dynamique, pédagogue, Anna Roy s’emballe, elle aussi, quand il s’agit de parler post-partum, conditions de travail des sage-femmes, et santé des femmes. Comme le dit l’adage:  les filles sages vont au paradis, les autres vont où elles veulent.

Il y a encore quelques années, on associait essentiellement le travail de la sage-femme à l’accouchement. Alors qu’il y a le pré-partum (la préparation), le post partum (pour la mère et le bébé), mais aussi le suivi gynécologique. Je constate qu’il y a de plus en plus de femmes autour de moi qui ont une relation privilégiée avec leur sage-femme, notamment pour leur suivi gynéco, comment vous expliquez cette évolution ?

Je l’explique par le fait que les sages femmes ont depuis toujours envisagé la relation qu’elles avaient avec leurs patientes comme une relation parfaitement horizontale. Ce n’est pas parce que je détiens un savoir que je me place au-dessus de toi. Je détiens un savoir, je vais essayer de te le transmettre, et tu vas faire des choix concernant ta santé. Or les médecins – et je dis ça en sachant que je les aime beaucoup, j’ai plein de médecins dans ma famille, je ne veux pas être dans une guéguerre imbécile contre eux – les médecins, même les très bons, envisagent la relation de façon verticale. La relation soignant-soigné est envisagée avec le prisme de la hiérarchie. C’est marrant parce que les dentistes, qui sont majoritairement des hommes, et qui sont comparables à nous, en termes de diplômes, envisagent eux aussi la relation sur un plan hiérarchique. Ce n’est pas le cas des sage-femmes, pour la majorité d’entre elles. Si je rencontre une patiente pour la première fois, je vais dire : « Bonjour je m’appelle Anna », pas « Bonjour je m’appelle Anna Roy ». C’est une façon de dire : je suis comme toi.

 

Vous ne perdez pas en… statut ?

Peut-être mais je perdrais beaucoup à ne pas me présenter comme leur égale. Les femmes nous disent tellement plus, quand on est dans cette relation-là. C’est même intéressant sur le plan médical. Elles se confient, et donc on a accès à des informations auxquelles on n’aurait pas accès autrement. Les sage-femmes ont, je crois, toujours été comme ça car elles sont dans des moments de vie où personne ne triche. Il y a une forme de sincérité. Qui amène à une plus grande finesse, dans la compréhension des mécanismes.

Est-ce que vous rencontrez beaucoup de patientes souffrant d’endométriose ? Comment avez-vous été formée à la maladie ?

J’ai été formée via le socle commun de mes études. Et puis je n’ai jamais appris à dénier la douleur des femmes. Quand une femme me dit qu’elle a mal, je la crois. Pourquoi je ne la croirais pas ? Donc de fait j’ai fait beaucoup de pré-diagnostics d’endométriose. Pas parce que je suis plus forte, mais parce que je crois une personne qui me dit qu’elle a mal. Je cherche et si je ne trouve rien, ce n’est pas qu’elle n’a rien, c’est que je ne sais plus. Le médecin, parfois, quand il ne sait plus, va dire : ce n’est rien, c’est dans la tête. Alors c’est juste qu’il ne sait pas, qu’il doit laisser la patiente aller voir quelqu’un d’autre.

Anna Roy / ©Lyv 2022 par Thomas Decamps

Que peut faire une sage-femme concernant l’endométriose ?

On prescrit des examens complémentaires. Une fois que le pré-diagnostic est posé, on l’adresse à un ou une spécialiste de l’endométriose. Moi je ne suis pas capable, en tant que sage-femme, de prendre en charge une endométriose, c’est important de le dire. D’ailleurs je conseille même aux femmes de ne pas prendre un gynéco « standard », mais de prendre contact avec une association spécialisée en endométriose, qui va pouvoir recommander tel ou tel praticien. Il ne faut pas aller voir n’importe quel gynécologue.

Il est prévu dans la « Stratégie nationale de lutte contre l'endométriose », annoncée par le gouvernement en février 2022, que le rôle des sage-femmes soit justement élargi dans le diagnostic et dans la prise en charge de l'endométriose. Qu’en pensez-vous ?

Je suis pour. Mais pour la prise en charge, je suis très humble, il faut que je sois formée. Il doit y avoir des sage-femmes qui sont plus spécialisées que moi en gynéco, mais moi actuellement je ne peux pas prendre en charge une endométriose évolutive. Après si je suis formée, je le ferai volontiers.

 

Votre avant-dernier livre s’appelle La vie rêvée du post partum : Confidences et vérités sur l'après-accouchement (Larousse, 2021). Vous l’avez écrit, avec Caroline Michel,  pour expliquer concrètement ce qui peut se passer dans cette période de la vie. Est-ce qu’il y a des choses à savoir concernant l’endométriose et le post-partum ? La grossesse mettant souvent entre parenthèses les symptômes de la maladie, comment les femmes vivent « l’après » ?

J’ai constaté des retours de couche (premières règles qui surviennent après l'accouchement -  NDLR) assez précoces, à la fois pour l’endométriose et pour l’adénomyose. C’est très dur pour ces patientes. Beaucoup croient qu’elles vont être guéries par le fait d’avoir un enfant, et elles sont déçues de voir que la maladie revient. Souvent on entend : les règles font moins mal après un accouchement, c’est une croyance qui circule. Sauf que ce n’est pas systématique. Il y a des femmes pour qui ça va mieux, il y en a pour qui c’est pareil, il y en a pour qui c’est pire

En post-partum, en tant que sage-femme, vous faites de la rééducation périnéale…

Oui, et c’est d’ailleurs un lieu de dépistage de l’endométriose. C’est un moment où il y a un partage d’intimité, où les femmes se confient volontiers, parce qu’elles ont 20 minutes, que c’est fastidieux, et qu’on ne va parler que de ça, que de périnée. Certaines vont alors oser dire : « souvent j’ai mal, dans le fond du vagin », ou bien « j’ai mal pendant les rapports ». Cela m’est souvent arrivé de faire des pré-diagnostics d’endométriose au cours de ces séances de rééducation du périnée. Elles osent confier des choses qu’elles ne confient pas ailleurs. C’est un temps d’échange privilégié.

Anna Roy / ©Lyv 2022 par Thomas Decamps

On parle de plus en plus de dépression post partum. Vous en parlez dans votre livre, même si j’ai lu que vous n’en aviez pas souffert personnellement, vous confirmez ?

Oui, mais il n’empêche je me suis pris une claque ! Malgré le fait que je pensais être la meilleure du monde. Comme beaucoup de mes patientes. On pense toutes la même chose avant d’accoucher, on se dit : « Hé, les autres elles sont un peu… comment dire… moyennes, non ? Moi ce sera différent ». On s’est toutes plus ou moins dit ça. Particulièrement avant qu’on détabouïse le sujet ces cinq dernières années. Bref, cette claque, elle était énorme ! Alors que j’étais super bien préparée, j’avais mis des digues partout pour que ça se passe bien, j’étais entourée de mes proches. Malgré cela j’ai trouvé ça chaud, le post partum. Je pensais même que c’était la disparition de mon être. Après, comme j’avais mis ces digues, je n’ai pas fait de dépression post-partum. Mais beaucoup d’autres le font, et ça me rend hystérique de voir les femmes qui souffrent. J’ai un problème d’hyper sensibilité, qui fait que je ne supporte pas de voir mes patientes dans un état de détresse causé par l’environnement, qu’il soit sociétal, familial, ou amical. Je suis une grande révoltée. C’est épuisant, la révolte, et en même temps parfois ça a du bon, cela fait bouger les choses.

Vous avez aussi récemment publié un ouvrage de vulgarisation : Tout sur les règles ! (illustré par Mademoiselle Caroline, Flammarion jeunesse, 2021). Cela s’adresse aux ados mais même aux plus jeunes, dès le primaire, n’est-ce pas ?

Oui, moi je l’ai lu à mon fils de 5 ans ! Je suis contente car j’ai eu beaucoup de témoignages de mères, de filles, qui après avoir lu le livre sont allées consulter pour l’endométriose. Elles ne savaient pas que ce n’était pas normal d’avoir mal pendant leurs règles. Cette douleur, qui est un symptôme, est normalisée. Alors que quand on a mal à la cheville, personne ne va vous dire : c’est normal ! Donc je suis contente de l’effet qu’a le livre, c’est ce que j’en attendais. Je l’ai pensé en termes de santé publique.

Quels sont les sujets que vous souhaiteriez aborder dans l’avenir, les combats que vous souhaitez mener ?

Le sujet, pour moi, c’est la santé des femmes. Dernièrement j’ai été interpellée par la prise de parole de Claire Mounier-Véhier, cardiologue au CHU de Lille et cofondatrice d’Agir pour le cœur des femmes. Elle explique que les maladies cardio-vasculaires sont la première cause de décès chez les femmes après 55 ans, devant le cancer. En cause : une multiplication des facteurs de risque après la ménopause, mais pas seulement. Ces pathologies restent sous-diagnostiquées parce que méconnues des médecins et des femmes elles-mêmes. Quand elle décrit ses patientes,  j’ai l’impression que ce sont mes patientes, dans 30 ans. Je me dis qu’il y a un truc à faire, vraiment, sur la santé des femmes. J’apprécie également le concept, développé par Martin Winckler, de charge physiologique. C’est un concept brillant. Comment alléger cela ? Comment faire pour que ce ne soit plus un fardeau mais une force ? Parce que je veux dire les aspects positifs de notre physiologie.  Exemple : le syndrome prémenstruel. Moi je trouve ça super de voir tout en noir, parce que ça permet de voir un même objet sous un angle différent. Quand j’étudie un sujet scientifique, une semaine là je le vois sous tous ses aspects positifs, et la semaine du SPM je vois ses aspects négatifs. Cela me permet différents points de vue. La variabilité de l’humeur, qui est tant décriée aujourd’hui, est une grande force. Les hommes sont dans un état hormonal quasi stable, de 13 à 60 ans, et … ça n’a pas l’air de tellement leur réussir !

Anna Roy / © Lyv 2022 par Thomas Decamps

Vous êtes sage-femme, autrice, chroniqueuse télé, podcasteuse et aussi très présente sur les réseaux sociaux. D’où vous vient cette énergie folle ?

Parce que je suis encore jeune ! Si je ne suis pas comme ça à 35 ans, comment serai-je à 70 ? J’ai de l’énergie à revendre, en effet, car j’ai un grand désir de justice, depuis toute petite. Il y a vraiment des mesures auxquelles je tiens, et je ne lâcherai pas. Même si elles ne sont adoptées que dans 20 ans, je ne lâcherai pas.

 

Par exemple ?

Il y en a une centaine (rires) mais certaines sont majeures. Par exemple l’amélioration des conditions de l’accouchement en France. La possibilité d’accoucher à domicile. Le congé maternité qui ne doit plus s’appeler congé et qui doit être beaucoup plus long. La possibilité pour des co-parents, ou des grands parents de prendre 3 mois. Des aides mamans, comme aux Pays-Bas, dans les premières semaines , etc. etc. Je sais que ces mesures, non seulement elles sont intelligentes, mais en plus elles sont économiquement viables. Je n’ai aucune raison de ne pas me battre pour ça. Tout ça vient d’un immense amour que j’ai pour mes patientes. Vraiment.

 

Il y a-t-il un conseil que vous donneriez à nos lectrices souffrant d’endométriose ?

Il ne faut jamais s’avouer vaincue. On finit toujours par trouver une solution. Il faut faire du nomadisme médical. Mes confrères ne vont pas être contents que je dise cela, mais pourtant, vous n’êtes pas mariées avec nous. Même si je vous parais sympathique, ma collègue peut avoir une super idée que je n’aurais pas eu. Il faut demander plusieurs avis. Si on tombe sur quelqu’un d’exceptionnel qui donne une réponse, c’est super. Mais à partir du moment où on n’est pas totalement serein avec ce qui est dit ou ce qui est proposé, il faut faire du nomadisme. Allez-y ! Et allez piocher dans différentes spécialités. Parce qu’on n’est pas des robots : on se plante. Et on n’est pas Dieu.

 

Merci Anna Roy

 

Propos recueillis par Camille Emmanuelle

Source

Anna Roy Sage femme

Camille Emmanuelle

Rédactrice en chef du mag' Lyv
Auteur et journaliste, spécialisée sur les questions de sexualités, de genre, et de féminisme.

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